6. Les résultats obtenus.
Un certain nombre de critères d'analyse avaient été
établis lors de l'élaboration du questionnaire. D'autres se
sont dégagés au cours des première lectures.
Munie de ces critères, j'ai regroupé les réponses
dans les catégories pertinentes pour l'analyse; travail de
déconstruction des discours qui a permis leur interprétation
épistémologique.
Dans ce qui suis, je me suis attachée à donner une vue
d'ensemble des représentations de la science chez les
élèves et les jeunes chercheurs, ainsi qu' à en
souligner les singularités.
6.1. Une première image de la science.
Bien qu'intentionnellement, il n'ait jamais été
précisé dans le questionnaire que les sciences dont il est
question sont les "sciences exactes" ou "sciences de la
nature", cela a été implicitement compris par
l'ensemble des personnes interrogées.
On verra une première explication dans le fait que ce sont des
professeurs de sciences physiques (de philosophie en Terminale
Littéraire) qui ont proposé le questionnaire aux classes
concernées.
On peut avancer une seconde explication : la physique serait
considérée comme la "science prototypique",
"science canonique" selon E. Morin, qui
"pose tous les problèmes de la
scientificité" (Morin E., 1984, p. 99).
6.1.1. Question 8.
Cette question se rapporte aux objets d'étude de la science.
8. La science peut-elle s'appliquer à tout ce qui existe ?
Expliquez.
Les résultats sont les suivants :
Question 8
2nde (30)
TL (12)
TS (15)
Chercheurs (12)
Oui
...mais succès ?
10 33 %
- -
3 23 %
- -
6 40 %
- -
7 58 %
6 50 %
Non
18 60 %
8 62 %
9 60 %
4 33 %
Inexploitable101
2 7 %
2 14 %
- -
1 8 %
Les positions adoptées par les personnes interrogées quant
aux domaines d'application de la science sont assez fermes.
Si un sujet avertit que "la science a des
barrières qu'elle ne doit pas franchir" (2-2), un autre
pense que la science peut s'appliquer à tout ce qui existe et
qu'elle "tend vers cet objectif" (S-11).
La scission entre les personnes qui dénient à la science
l'aptitude à s'appliquer à tout ce qui existe, et celles qui
la considèrent comme universelle, se fait autour de l'idée
de loi régissant les phénomènes. Pour les premiers,
la "science ne peut pas s'appliquer
à tout ce qui existe (...). Elle ne peut avoir de place dans des
domaines irrationnels comme les sentiments ou l'amour qui ne
répondent pas à des lois établies" (S-9),
qui "ne peuvent pas être calculés,
quantifiés scientifiquement" (S-12),
alors que pour les seconds, la science peut s'appliquer à tout ce
qui existe :
"parce que tout ce qui existe a une origine, une
cause" (2-8),
car "tout peut s'expliquer rationnellement"
(L-3).
Les domaines les plus souvent cités qui ne relèvent pas de
la science sont (par ordre d'importance) : les sentiments, la
pensée, le surnaturel, la religion, la création artistique.
En somme, la science s'applique "seulement à des
choses concrètes" (2-23).
Les réponses affirmatives doivent être
tempérées par deux observations :
- L'expression "tout ce qui existe" a souvent été
interprétée au sens de "tous les
phénomènes concrets, tous les objets
matériels".
- Beaucoup de chercheurs répondent par l'affirmative. Mais ils le
font en référence à une définition assez large
de la science : "Il suffit d'observer quelque chose pour
que l'on commence à avoir une démarche scientifique sur
l'objet" (C-7) et de façon très critique :
"S'appliquer , oui, mais avec succès ? On peut
prévoir tout sur tout dans n'importe quel domaine à partir
du moment où on accepte une probabilité d'erreur importante
(de toutes façons, il y a toujours un aspect
probabiliste)" (C-8). Six des sept chercheurs qui ont
donné une réponse positive s'interrogent ainsi sur le
succès d'une telle démarche.
Il apparaît dans ces lignes que pour la majorité des
personnes interrogées, la science est une pratique adaptée
à des objets spécifiques. Nous allons essayer d'en savoir
plus.
6.1.2. Question 1.
1. Pour vous,
quel sens a le mot "théorie" ?
Les sens attribués par les sujets au mot "théorie"
sont extrêmement variés. Je ne m'intéresserai
qu'à ceux qui concernent la science.
On peut regrouper les définitions proposées autour de cinq
notions.
- La théorie comme explication :
"C'est une règle qui donne une explication
à un ensemble de phénomènes" (2.9),
"Une théorie est une loi élaborée
par l'homme pour tenter d'expliquer un phénomène
observé" (S-13).
- La théorie comme outil :
"Ca sert à résoudre des
problèmes" (4-1),
"La théorie permet de
prévoir" (2-18),
C'est un "ensemble d'axiomes (...) permettant d'avoir
un modèle prédictif confrontable avec les
expériences" (C-6).
- La théorie est un système organisé cohérent
:
"C'est comme une règle qui s'applique tout le
temps" (4-6),
"Une théorie est une chose logique"
(4-4),
"Théorie : le sens d'un système
organisé sur lequel on fonde l'explication des
phénomènes" (2-2),
une théorie est "un ensemble de
théorèmes et de lois systématiques organisées
pouvant être vérifiés expérimentalement, visant
à établir la vérité d'un système
scientifique" (S-15),
c'est "un ensemble d'axiomes et de règles de
déduction" (L-8).
- La théorie est une construction de l'esprit qui parle du
réel :
"C'est comment expliquer quelque chose de concret par
quelque chose d'abstrait" (2-7),
"Une théorie est un essai de
systématisation, une formulation abstraite et quasi-universelle
énonçant des lois régissant le d\'8eroulement de
foules d'événements concrets apparemment distincts. Elle
fait souvent abstraction de quantité de facteurs intervenant dans
la façon dont se déroulent les événements car
elle <<idéalise>>" (S-3),
"Une théorie est une connaissance abstraite, une
idée sur un sujet. C'est comme une conjecture que des scientifiques
émettent, qu'ils démontrent ensuite et que l'on admet
vrai" (S-5),
- Une théorie doit être prouvée :
"Pour moi, le mot <<théorie>> est
associé au mot <<hypothèse>>, quelque chose
qu'on croit vrai et qu'on veut démontrer" (2-13),
"Une théorie est une loi qui peut être
prouvée valable dans tous les cas" (S-14);
"C'est un ensemble de théorèmes qui
nécessite une vérification expérimentale"
(2-10).
On voit apparaître dans ces définitions l'ensemble des
thèmes centraux de l'activité scientifique : le rapport de
la théorie avec le réel, ses critères de
validité (cohérence, test - ou preuve ? -
expérimental, ...), son caractère construit, ...
Il apparaît que les élèves ont "une certaine
idée de la science". Afin de préciser cette
idée, il convient de les interroger plus explicitement.
6.2. Ce que la science dit du monde.
Les questions 3, 5, 6, 9, 11 et 12 abordent ce problème.
6.2.1. Questions 3, 9 et 12.
Ces questions seront traitées de pair car elles abordent la
même idée.
3. Vous diriez plutôt :
a - "Les lois de la physique existent dans la nature, les physiciens
les découvrent".
b - "Les lois de la physique sont des inventions des physiciens pour
interpréter et prévoir des événements".
c- Autre réponse. Précisez.
9. Pensez vous que la théorie scientifique donne de la
réalité physique une description:
a - conforme (la réalité est comme le dit la
théorie).
b - approchée (la réalité est à peu
près comme le dit la théorie, mais on ne connaît pas
encore les détails).
c - imagée (elle ne dit pas que la réalité est
comme ça, mais que les phénomènes se passent comme
si elle était comme ça).
d - Autre réponse. Précisez.
12. Quels sont les rapports entre : la théorie, ce que l'on observe
et la réalité ? Par exemple, entre un modèle de
l'atome, les "images des atomes" données par le
microscope à effet tunnel et les "atomes réels"
?
On obtient les résultats suivants :
Question 3
4ème (13)
2nde (30)
TL (13)
TS (15)
Chercheurs (12)
a (réaliste)
4 30 %
22 73 %
9 70 %
7 47 %
1 8 %
b (instrumental)
7 46 %
5 17 %
4 30 %
8 53 %
11 92 %
Inexploitable
3 23 %
3 10 %
- -
- -
- -
Question 9
TL (13)
TS (15)
Chercheurs (12)
a (réaliste)
2 15 %
1 7 %
- -
b (réaliste)
8 61 %
4 27 %
- -
c (instrumentaliste)
3 23 %
5 33 %
12 100 %
Première surprise au vu des résultats de la troisième
question, les élèves de Quatrième seraient, comme les
chercheurs, majoritairement instrumentalistes !
Cette question semble être difficile pour de jeunes
élèves, dont un certain nombre fournit des réponses
inexploitables. L'analyse des réponses des sept
élèves qui choisissent la réponses b montre que cinq
d'entre eux ne justifient pas leur choix (soit 71 %) et que les deux
autres réponses reprennent les termes de la question
"inventer" et "prévoir" au sens de :
"inventer (...) des matériaux" (4-7)
et "prévoir une éclipse"
(4-9). L'utilisation de ces deux mots dans l'énoncé de la
question semble avoir orienté le choix de la rubrique b pour
d'autres raisons que celles qui m'intéressent. Les deux
réponses b justifiées sont par contre intéressantes :
les physiciens ne peuvent découvrir les lois toutes faites dans la
nature parce que "la nature n'a pas le même
langage que nous" (4-3), ils les inventent "pour que ça soit plus facile pour eux" (4-9)
(afin de parler du monde ?). Plus encore, "la Nature
est exceptionnelle et c'est elle qui nous apprend les choses"
(2-18).
La position adoptée par les lycéens est
généralement réaliste, bien qu'en Terminale
Scientifique les avis soient partagés.
Les réponses s'appuient sur :
- l'existence concrète des objets que manipule la science :
"Les atomes sont des choses de la nature, pareil pour la
gravité ou la poussée d'Archimède"
(2-22). "Tout ce que trouvent les physiciens existe
déjà" (2-15), "car sinon,
c'est comme si on disait que c'était les physiciens qui avaient
créé la nature" (2-23),
- l'importance de l'observation en physique : "Toute loi
a ses preuves dans la nature" (L-10), "les
physiciens les découvrent en faisant des
expériences" (2-8),
- la croyance en une nature organisée : "La
Nature a ses lois et rien ne se fait au hasard" (S-10);
"la nature est remplie de lois physiques"
(2-17), "par exemple, la pesanteur et la gravité
sont bien réelles, c'est Newton qui l'a découvert et mis en
formule. Mais ces formules, bien qu'inconnues des hommes, réglaient
déjà certains phénomènes naturels"
(S-10),
- des considérations langagières : "Il est
vrai que je pense que les lois de la physique existent dans la nature car
on parle souvent des <<lois de la nature>>" (L-9),
"<<physique>>, en Latin classique, signifie
<<étude de la nature>>" (L-8).
Ainsi, la physique vise à décrire le monde tel qu'il est.
Les inadéquations résultent d'erreurs, d'imprécisions
111 :
"La théorie scientifique s'approche (...)
énormément de la réalité, elle est si proche
que les erreurs, les différences sont parfois négligeables
et donc la théorie scientifique donne de la réalité
une description approchée" (S-5). "La
théorie essaie de s'approcher le plus possible de la
réalité, mais ceux qui la conçoivent savent bien
qu'ils ne connaissent pas tous les détails nécessaires
à une explication exacte" (S-14).
Un sujet distingue la théorie du modèle : "Ce sont les modèles qui sont imagés : ils permettent
de faire comprendre la théorie aux gens qui essaient de la
comprendre. Ils sont plus concrets et donc plus faciles à
s'approprier que les théories elles-mêmes"
(S-14).
Si l'opération intellectuelle du physicien est parfois reconnue, il
lui revient surtout de nommer les objets d'une nature toute
organisée : "Les lois de la physique
représentent (...) uniquement une <<traduction>>
directe des phénomènes naturels" (S-6), elles
"existent dans la nature, mais elles pourraient
être interprétées de façon
différente" (S-11). Le physicien "regroupe et classe les phénomènes
analogues" (S-6) dans ce but.
L'activité modélisante des sciences est parfois
perçue en Seconde : "A partir des numéros
atomiques des éléments (...), des physiciens ont
inventé la façon de les représenter"
(2-30), et en Terminale Scientifique : "Les lois de la
physique sont des inventions des physiciens pour tenter de traduire en
mots et en systèmes les constatations d'un grand nombre
d'expériences" (S-3), classe dans laquelle la
perspective instrumentaliste se dégage nettement. "Dans la nature, rien ne se passe strictement comme le disent les
lois" (S-5), mais "grâce à
elles, on régit un certain nombre d'événements qui
deviennent prédictibles" (S-8). Les "théories sont utilisées car elles permettent
d'expliquer des phénomènes, mais on découvrira
peut-être que cela se passe tout autrement" (S-1).
Quant aux chercheurs, ils sont résolument instrumentalistes :
"On n'a pas accès à la
<<réalité>>>, mais juste à ce que
perçoivent nos sens. Partant de là, tout ne peut être
que supputation et interprétation" (C-5),
"On ne fait pas de découverte (comme on
découvre l'Amérique), mais on affine des
modèles" (C-5),
"Les lois de la physique servent à trouver une
unité (...). Ce désir d'unification ne reflète pas
nécessairement ce qui se passe dans la nature
réellement" (C-9).
Certains doutent même de la réalité : "Je ne sais pas ce que sont les lois dans l'absolu, ni même la
nature. En poussant un peu, je ne sais pas si la nature existe en dehors
d'un observateur" (C-10), "Je n'arrive pas
à définir de façon satisfaisante la
réalité (..). Pour moi, la réalité se situe
dans le domaine de la croyance" (C-3).
Deux personnes soulignent la nécessité de définir un
domaine de validité : "Tout ce qu'on peut dire,
c'est ce qu'on observe de ce que nous prédit une théorie. Si
ça concorde autant que souhaité, c'est que la théorie
est bonne. Autant que souhaité, ça veut dire qu'une
théorie doit aussi donner ses limites" (C-10).
6.2.2. Questions 6 et 11.
Ces deux questions sont construites autour de l'idée de
modèle.
6. Imaginez que l'on possède un microscope assez puissant pour
voir une molécule de dihydrogène; faites un dessin de la
molécule telle que vous pensez qu'on la verrait.
11. Quand on parle de la lumière, on utilise, selon les
phénomènes à interpréter, soit la
théorie ondulatoire soit la théorie corpusculaire. Comment
expliquez vous qu'une même réalité puisse ainsi
être décrite à l'aide de deux théories
différentes ?
Le tableau suivant rend compte des réponses obtenues :
Question 6
2nde (30)
TL (13)
TS (15)
Chercheurs (12)
Dessins inspirés de modèles moléculaires
21 70 %
5 38 %
7 47 %
- -
Dessins inspirés de représentations de Lewis
1 3 %
- -
2 15 %
- -
Dessin impossible, justifié par :
Mécanique Quantique
Instruments
Non justifié
- -
- -
- -
- -
- -
- -
- -
- -
- -
3 25 %
3 25 %
3 25 %
Divers dessins
6 20 %
5 38 %
5 33 %
- -
Blanc
2 7 %
3 24 %
1 5 %
3 25 %
Les lycéens confondent -ils le modèle et la
réalité ? De façon évidente, oui. Le fait est
particulièrement marqué chez les élèves de
Seconde, qui proposent à 70 % un schéma inspiré des
modèles moléculaires.
Doit-on penser que les élèves qui ont proposé un tel
dessin le considèrent vraiment comme reproduisant la
réalité, ou se sont-ils sentis obligés de
répondre ?
On rencontre par contre peu de dessins reproduisant le modèle de
Lewis, ce qui est en contradiction avec l'étude de L. Romero
(Romero L., 1993). Les élèves auraient-ils saisi le
caractère de modèle de la théorie de Lewis ou bien
est ce lié à un effet de récence puisque, au moment
où le questionnaire leur a été soumis, ils
travaillaient ... justement sur les modèles moléculaires
?
Dans une moindre mesure, les élèves de Terminale s'inspirent
des modèles moléculaires.
D'autres dessins, assez variés ont été
proposés (boules, nuages, cellules accolées, ...).
Aucun des chercheurs interrogés n'a proposé de dessin; 75 %
d'entre eux en disent l'impossibilité, liée à la
mécanique quantique ("Voir suppose une
localisation qui est interdite pour les objets de cette
taille" (C-11)), ou à la médiation des
instruments : "Il est impossible de voir
121 un tel
système. On peut s'en donner une représentation
schématique (...) qui n'a sans doute rien à voir avec ce
que l'on doit avoir. On ne sait pas comment on verrait cette
molécule. Un quelconque appareil de mesure ne nous donnera
d'ailleurs qu'une représentation imagée de cette
molécule" (C-12).
La question 11 ne concernait que les chercheurs.
Pour la plupart des sujets, le fait ne pose pas problème :
"Il n'y a rien à expliquer, la science ne se veut
pas unique dans ses interprétations et ses
modèles" (C-8) et les deux théories coexistent
sans problème. Simplement, "on a une série
de phénomènes qu'on n'est pas arrivé à
décrire dans un formalisme suffisamment puissant, pour englober les
deux aspects" (C-6). Plusieurs d'entre eux font remarquer que
"les deux théories n'expliquent pas les
mêmes phénomènes. Cela ne veut donc pas dire qu'une
des théories est mauvaise puisqu'aucune théorie n'a la
prétention d'être la réalité. Une
théorie a ses limites" (C-12). Incontestablement, la
théorie est un modèle (ce terme est prononcé par 42 %
des sujets en réponse à la question 12, mais l'idée
est implicitement contenue dans toutes les réponses), modèle
qui "doit contenir la façon de faire les
observations, [par exemple] l'image de l'atome s'obtient en appliquant ces
méthodes d'observation" (C-10) et "qui est (ou qui essait d'être) compatible avec toutes les
observations d'un phénomène" (C-7).
6.2.3. Question 5.
5. Peut-on avoir une science sans langage ?
On obtient les réponses suivantes :
Question 5
4ème (13)
2nde (30)
TL (13)
TS (15)
Chercheurs (12)
Non
Il faut :
Communiquer
Conceptualiser
6 46 %
1 8 %
- -
25 83 %
6 10 %
4 13 %
12 92 %
8 61 %
2 13 %
15 100 %
13 87 %
3 15 %
11 92 %
4 33 %
9 75 %
Oui
2 15 %
5 17 %
1 8 %
- -
1 8 %
Inexploitable
5 39 %
- -
- -
- -
- -
Les résultats ci-dessus font apparaître une très
grande homogénéité : la science ne peut exister sans
langage.
Pour certains, la question est tautologique : "La
science est un langage" (C-3)1.
Le langage est saisi en tant que reconstruction symbolique du monde qui
permet de donner du sens aux sensations : "Les choses
observées ne riment à rien sans explication par phrases,
chiffres, etc" (2-17), "L'utilisation de
symboles est indispensable pour comprendre quelque chose d'abstrait et
pour réfléchir" (S-9), "Je
crois que sans langage, il n'y a pas de conscience, et que sans conscience
il n'y a pas de science" (C-1), "Sans
langage, il n'y a que des intuitions (émotions)"131 (C-5). De
façon étonnante, peu d'élèves
littéraires soulignent cette fonction du langage.
Mais c'est surtout en tant qu'outil d'interaction sociale que le langage
est indispensable : les scientifiques utilisent les connaissances de
leurs prédécesseurs, transmises grâce au langage,
"pour continuer les recherches" (S-8),
"s'il n'y avait pas de langage, les scientifique ne
pourraient pas transmettre leurs connaissances et la science n'avancerait
pas" (4-13).
Par ailleurs, la confrontation des théories est féconde :
"La science ne peut progresser que s'il existe un
langage scientifique universel pour permettre les confrontations de
thèses entre scientifiques du monde entier" (S-11).
Paradoxalement, les chercheurs insistent peu sur cet aspect, alors que la
communication de leurs travaux et la consultation de ceux des autres
constitue une part importante de leur travail (Latour B. & Woolgar S.,
1988).
En résumé, "comment Aristote,
Thalès, Pythagore ... auraient-ils pu nous expliquer les
phénomènes sans le langage ? Comment eux même
auraient-ils pu les interpréter ? En somme, comment penser
une science sans utiliser aucun des outils de la pensée
?"142 (S-15).
En ce qui concerne la nature du langage, c'est avant tout un langage
mathématique : "Il faut qu'il y ait des
chiffres" (2-14),"Comment traduire une loi
sans une formule ?" (S-10). Un élève de Seconde
précise : "Il faut différencier le savoir
et la science : le savoir c'est savoir que la Terre tourne, la science
c'est pouvoir calculer le nombre de tours qu'elle fait par
seconde" (2-7).
Rappelons qu'à partir de la classe de Seconde, les exercices
(classiques) proposés sont principalement de type calculatoire.
Cependant, un élève de Seconde dit : "Pour
bien comprendre une science, il faut l'expliquer de plusieurs
manières" (2-13) et deux chercheurs
renchérissent : "Les principes de base des
théories doivent pouvoir s'exprimer précisément de
façon autre que mathématique" (C-1).
Comme nous venons de le voir, la plupart des élèves du
secondaire considèrent que les objets d'étude de la science
existent dans la Nature et que l'activité de l'homme de science
consiste à les chercher, à les découvrir, puis
à en donner une description, sinon conforme, du moins
approchée (idée d'une connaissance imparfaite mais qui tend
progressivement vers la vérité). La réalité
est bien souvent assimilée au modèle.
Bien que certains considèrent le langage comme un "outil de la pensée" (S-15), le caractère
construit des connaissances scientifiques n'apparaît pas
explicitement.
Ils s'inscrivent par conséquent majoritairement dans la perspective
réaliste.
Si les élèves de Seconde et de Terminale Littéraire,
qui n'ont probablement pas eu l'occasion de réfléchir
à la nature du savoir scientifique depuis leur classe de Seconde,
adoptent dans l'ensemble des positions similaires, une part importante des
élèves de Terminale Scientifique s'en démarquent. Ils
évoquent la démarche modélisante de l'activité
scientifique. Ceux-ci s'inscrivent, de même que les chercheurs, dans
la perspective instrumentaliste. On peut observer ici le début
d'une évolution qui sépare les élèves de
Terminale Littéraire, restant sur les modèles
hérités de la classe de Seconde, et les élèves
de Terminale Scientifique, qui se rapprochent des chercheurs et de la
position de l'épistémologie moderne.
6.3. L'expérimentation.
Les questions 4, 7 et 10 portent sur le rôle de l'observation
dans la genèse des connaissances scientifiques.
6.3.1. Question 4.
Proposée comme suit aux élèves de
Quatrième et Seconde :
4. On dit souvent que Newton a proposé la théorie de la
gravitation en regardant tomber les pommes. Pourtant, Newton ne devait pas
être le premier à voir tomber les pommes ! En quoi cette
observation a-t-elle permis à Newton d'élaborer cette
théorie ?
elle a été reformulée pour les
élèves de Terminale et pour les chercheurs :
4. Un physicien et un "spectateur innocent" voient-ils la
même chose devant le même phénomène ?
Pour les élèves de Quatrième et de Seconde, le
changement de théorie est dû à :
Question 4
4ème (12)
2nde (30)
Questionnement
6 47 %
12 40 %
Observation simple
3 23 %
9 30 %
Preuve
- -
3 10 %
Inexploitable
4 31 %
4 13 %
Pour les élèves de Terminale et les chercheurs, les
réponses à la question reformulée sont les suivantes
:
Question 4
TL (13)
TS (15)
Chercheurs (12)
Oui
- -
- -
1 8 %
Non :
Non justifié
Interprète / savoir
Connaissance -> obs.
4 31 %
8 61 %
- -
- -
14 93 %
1 7 %
4 33 %
7 58 %
2 17 %
Inexploitable
1 8 %
1 7 %
1 8 %
Pour l'ensemble des élèves, l'attitude du physicien face au
monde diffère de celle du "spectateur innocent" :
- Le scientifique a une attitude particulière à
l'égard du monde :
"La science, c'est s'interroger" (2-7).
Ainsi Newton a élaboré la théorie de la gravitation
en regardant tomber les pommes "car les autres personnes
ne cherchaient pas pourquoi les pommes tombent. Lui était curieux
et voulait trouver la raison de ce phénomène"
(4-13), "certainement que d'autres personnes avaient vu
tomber les pommes avant mais ne s'étaient pas demandé le
<<pourquoi>> et le <<comment>> de ce
phénomène" (2-20). Donc, "Newton était intéressé et pas les
autres" (4-6).
- Un physicien interprète en fonction de son savoir, alors qu'un
"spectateur innocent" se contente de la sensation : "Un physicien cherche toujours à raccrocher le
phénomène observé à la logique d'un ensemble
de phénomènes observés de façon isolée
: il pense à établir une relation entre divers
phénomènes (qui aurait pensé par exemple à
faire un lien entre la chute d'une pomme et le mouvement circulaire des
planètes !)" (S-2) et par conséquent,
"même s'ils voient la même chose, le
physicien et le <<spectateur innocent>> décriront
probablement différemment leur observation : le physicien y inclura
probablement la description d'une loi physique permettant d'expliquer un
phénomène" (S-11). Un
élève souligne l'importance de cette "différence de points de vue" (S-6) : "Les physiciens ne
voient pas les mêmes choses devant le même
phénomène, autrement il n'y aurait jamais aucun
progrès" (L-4).
L'observation est :
- source de la connaissance : pour beaucoup d'élèves, la
théorie de la gravitation dérive directement de la simple
observation,
- un moyen de vérifier une théorie : certains ont
supposé que la théorie de la gravitation avait
été formulée avant que Newton s'y intéresse.
Il l'aurait alors confirmée en y rattachant la chute des pommes,
- ou même une preuve : "Cette observation [la
chute des pommes] a permis de prouver qu'il y avait une attraction vers le
centre de la planète" (2-15),
- porteuse de sens seulement s'il se trouve un questionnement, un cadre
théorique pour l'accueillir : "Les personnes qui
regardaient les pommes tomber n'y prêtaient pas attention car pour
eux c'était banal et sans doute il ne voyaient pas le rapport.
Tandis que Newton, lui a travaillé sur la gravitation et le fait
que la pomme tombe devant lui l'a fait
réfléchir" (2-28),
- guidée par l'observation (4 sujets) : "Un
physicien sait où il peut trouver les parties intéressantes
lorsqu'un phénomène a lieu" (S-7); "<<La connaissance biaise-t-elle l'observation ?>>.
Réponse : <<Oui, mais elle est nécessaire pour la dite
observation>>" (C-6) et "seul celui
qui comprend la théorie <<voit>> les
expériences" (C-3).
Par ailleurs, pour que la science évolue, il faut "éliminer le conservatisme apporté par la
connaissance" (C-6).
6.3.2. Question 7.
7. On invente et on construit aujourd'hui d'énormes
machines pour faire des expériences (accélérateurs de
particules, synchrotrons, télescopes spatiaux, ...). Pensez-vous
que c'est :
a - simplement "pour voir", sans aucune idée de ce que
l'on va "voir". Expliquez.
b - pour observer des phénomènes que l'on a plus ou moins
prévus. Expliquez.
c - Autre réponse. Précisez.
On obtient les résultats suivants :
Question 7
2nde (30)
TL (13)
TS (15)
Chercheurs (12)
a
7 23 %
1 8 %
1 7 %
- -
b
16 53 %
9 69 %
6 40 %
3 25 %
a et b
4 13 %
2 15 %
8 53 %
7 59 %
Inexploitable
4 13 %
1 8 %
- -
2 16 %
Si 23 % des élèves de Seconde considèrent que l'on
fait des expériences simplement "pour voir", la
majorité des sujets soutient que l'expérience ne se fait
pas au hasard mais repose sur des idées préalables.
Pour ceux là, le scientifique s'attend à observer quelque
chose "sinon, pourquoi inventer de telles
machines" (L-13), et sait à peu près où
chercher, "sinon, comment fabriquer les machines ? Il
faut savoir en fonction de quoi ?" (L-12). "On cherche à observer ce que l'on
soupçonne" (S-7).
Un certain nombre d'élèves pense que le scientifique sait
exactement ce qu'il cherche : "Il vaut mieux savoir ce
que l'on cherche pour axer les expériences" (S-10).
Peu de sujets précisent ce qu'ils entendent par
"hypothèse", "idée". Celles-ci semblent
plutôt relever de l'intuition qu'être partie prenantes d'un
véritable cadre théorique. Seuls quelques-uns
considèrent que l'expérience est
précédée d'une véritable construction
théorique :
"Pour observer des phénomènes, il faut
d'abord passer par la théorie" (L-8),
"Si on essaie d'observer un phénomène,
c'est que l'on sait qu'il existe et que l'on a une théorie sur ce
phénomène" (2-20),
"Comme pour toute expérience, on n'observe jamais
rien au hasard" (C-6).
Bien que l'observation soit le plus souvent dirigée, la
possibilité de trouver quelque chose d'imprévu est
évoquée par de nombreuses personnes :
"C'est aussi pour découvrir d'autres choses et
avancer dans les sciences" (2-10),
"Par exemple, en construisant des fusées, des
satellites, l'Homme ne sait pas toujours ce qu'il découvrira dans
l'espace" (S-6),
"On peut cependant noter que certains
phénomènes peuvent être découverts par le plus
grand des hasards" (S-10).
La proportion de chercheurs qui évoquent la possibilité de
trouver du nouveau est importante, mais la plupart précise que l'on
ne cherche pourtant pas au hasard mais "pour explorer un
domaine dans lequel on est sûr que les résultats auront de
l'intérêt" (C-3).
Cette question a donné l'occasion aux les élèves de
s'exprimer sur la manière dont ils pensent que s'élaborent
les connaissances.
Pour certains, la connaissance scientifique découle de
l'observation : "Avant tout (...), il faut
observer" (2-7), "il s'agit de
découvrir ce qui nous entoure" (L-1).
Pour les autres, l'expérience sert à :
- améliorer la connaissance quant à des
phénomènes pour lesquels "on a besoin de
plus de détails" (L-9) : "Avec les
machines, nous aurons des résultats plus précis"
(2-4). L'expérience sert donc à
"approfondir des phénomènes connus car les
scientifiques voudraient mieux maîtriser les
phénomènes étudiés" (2-19),
- confirmer des hypothèses théoriques : "Généralement, quand on fait des expériences,
c'est pour apporter des confirmations à ce qu'on
pense"(2-8). Cette confirmation peut avoir valeur de preuve;
ainsi "les machines servent à prouver les
hypothèses des scientifiques" (S-8).
Quelques élèves esquissent les traits d'une
"méthode expérimentale" :
"Les scientifiques ont des intuitions qui permettent
d'établir des explications à des phénomènes,
qu'ils vérifient grâce à des
expériences" (S-3),
"Des scientifiques ont observé un
phénomène dans la nature. Ils ont essayé ensuite de
lui trouver un modèle, de l'expliciter par des formules; et par ces
grosses machines, ils regardent si leur modèle est proche de la
réalité, s'ils peuvent reconstituer artificiellement la
réalité" (S-5),
"Le scientifique peut faire des recherches dans un
domaine, émettre des hypothèses qu'il ne peut
vérifier qu'en faisant les choses <<grandeur nature>>,
c'est à dire en fabriquant une énorme machine lui permettant
de faire des expériences" (S-6).
Les représentations que les élèves ont de la
démarche scientifique semble donc s'articuler autour du
schéma suivant : Observation - Hypothèse -
Expérimentation - Résultats - Interprétation -
Conclusion. A. Giordan rassemble ces différentes étapes (qui
sont celles de la méthode expérimentale selon C. Bernard)
sous le sigle OHERIC dans l'analyse qu'il fait de la méthode
expérimentale telle qu'elle est couramment pratiquée dans
les établissements.
Il ressort de la majorité des discours que les
phénomènes sont intrinsèquement porteurs
d'information, l'ordre du monde est accessible grâce à
l'observation, l'expérimentation. L'observation est un constat,
elle révèle le monde. Le vocabulaire employé est sur
ce point instructif, les termes les plus courants sont
"découvrir", "voir", "trouver". On
expérimente "car c'est de cette façon que
l'on trouve de nouvelles théories" (2-16). L'attitude
du scientifique face au monde relèverait essentiellement de
l'empirisme.
Cette question permet d'observer une évolution des conceptions des
élèves similaire à celle qui a été
remarquée à la question 5. Les élèves de
Terminale Scientifique, en considérant une pluralité de
démarches productrices de savoirs scientifiques, se rapprochent
sensiblement des chercheurs.
6.3.3. Question 10.
10. Vous diriez de préférence qu'une
théorie scientifique à pour origine :
a - un fait survenu par hasard.
b - une observation minutieuse de la nature, permettant d'accumuler des
faits dont la théorie est la synthèse.
c - des expériences mises en oeuvre par le scientifique "pour
voir" (comme des filets pour pêcher au hasard dans les
phénomènes naturels).
d - des hypothèses formulées par le scientifique, suivies
d'expériences pour vérifier ces hypothèses.
e - Autre réponse. Précisez.
Les réponses se répartissent comme suit :
Question 10151
TL (13)
TS (15)
Chercheurs (12)
a seule
2 15 %
- -
- -
b seule
4 31 %
4 27 %
3 25 %
c seule
- -
1 7 %
1 8 %
a, b ou c + d
2 16 %
3 20 %
1 8 %
Total observation
8 62 %
8 54 %
5 43 %
d
3 23 %
3 20 %
(2 7 %)162
Les quatre
2 15 %
5 33 %
7 59 %
Autres motivations
- -
- -
2 17 %
Cette question montre que l'origine d'une connaissance scientifique est
attribuée aux faits plutôt qu'à la théorie par
un grand nombre de sujets.
Environ un tiers des personnes interrogées, quel que soit leur
niveau scientifique, adhère à la position inductiviste : la
connaissance dérive d'une accumulation de faits dont la
théorie est la synthèse.
Suite à l'analyse des réponse des sujets qui choisissent la
réponse d précédée de a, b ou c, il semblerait
qu'il faille entendre "origine" au sens de "questionnement
initial", suivi de la formulation d'hypothèses : "Je dirais qu'une théorie scientifique est tout d'abord une
observation minutieuse de la nature, puis les scientifiques
émettent des hypothèses, qu'ils vérifient par les
expériences et si elles sont vérifiées, les
hypothèses deviennent théories" (S-5).
Plus le niveau scientifique des personnes interrogées
s'accroît, plus la notion de méthode scientifique devient
floue. Ainsi, un nombre croissant de sujets considère que les
quatre démarches proposées sont valables. Les chercheurs
choisissent des exemples dans l'histoire des sciences. Le point de vue
suivant semble dominer : "Chaque scientifique a sa
façon de procéder pour élaborer une
théorie" (S-10).
Les chercheurs ont quant à eux une attitude quelque peu
schizophrénique : quatre d'entre eux soulignent un décalage
entre la science telle qu'elle se pratique et son idéal :
"Le rêve du physicien théoricien est bien
sûr la solution (d), le plus fréquent est bien entendu le
(b), surtout pour des théories très générales.
En désespoir de cause, on recours parfois au (c)"
(C-6).
Ainsi, aucun chercheur n'opte pour la réponse 10d, mais deux
l'indiquent comme leur idéal.
Pour deux chercheurs, ce sont des facteurs individuels ou culturels qui
sont déterminants :
"En fait, le moteur de la science est sans doute le
comportement suivant du scientifique : <<Je sais que j'ai raison
contre tous (...) et je vais le prouver>>" (C-11),
"Mais très souvent : l'héliocentrisme des
Grecs, la théorie atomique de Démocrite aussi, ne sont pas
fondées sur une observation précise mais sur une position
philosophique" (C-10).
Trois chercheurs se sont intéressés à ce que l'on
voit à travers un instrument : "A partir du
moment où on a besoin d'un instrument (...) pour observer, l'image
que l'on obtient n'est que le résultat de la théorie
à la base de la conception de l'instrument (...). Donc , l'image
est le résultat de la réalité au travers du filtre de
la théorie171 de
l'instrument (par exemple, pour le microscope à effet tunnel, un
corps métallique est un ensemble de noyau entouré d'un gaz
d'électrons (...), qui peuvent sauter sur le détecteur du
microscope (...); qu'observe-t-on quand on regarde un atome ? Oh surprise
! exactement ce que l'on attendait ...)" (C-6); finalement,
"ce que l'on observe passe par la moulinette de la
théorie" (C-8).
Les discours recueillis indiquent que pour la majorité des sujets,
l'observation joue un rôle majeur dans la production de savoirs
scientifiques :
- en tant que source de questionnements,
- en tant qu'instrument de connaissance,
- en tant que preuve de la validité d'une théorie.
Il y aurait un ordre inhérent au monde que l'observation
permettrait de révéler.
Bien qu'il y ait pour certains "autant d'origines de
théories que de théories" (S-10), le
schéma général de la méthode scientifique qui
se dégage est de type positiviste : primauté aux faits et
subordination de l'imagination à l'observation.
En ce qui concerne les lycéens, les résultats de cette
question se démarquent à première vue quelque peu de
ceux de la question 7. Mais une analyse plus fine permet de
dépasser cette contradiction apparente :
- La question 7, en faisant appel aux grands instruments, a
suggéré l'idée de projet, donc la réponse
7b.
- De plus, la question 10 porte sur l'expérimentation, qui
constitue une démarche active de la part du scientifique.
Démarche active qui suppose une interrogation de la part de celui
qui agit. Rien n'exclu que cette interrogation n'ait été
initiée par une observation. Les réponses de certains sujets
ayant choisi la rubrique 7b vont dans ce sens : "L'homme
dans sa logique et en regardant ce qu'il y a autour de lui arrive je pense
à deviner mais ne se l'imagine pas exactement alors utilise
d'énormes machines" (2-27).
6.4. La science en tant que pratique sociale.
La question 2 porte sur l'interaction entre science et
société. Formulée de façons différentes
selon les personnes à qui elle s'adressait, elle nécessite
deux analyses distinctes.
En classe de Quatrième et en classe de Seconde, elle a
été posée comme suit :
2. Au Moyen-âge, on disait : "Le Soleil tourne autour de la
Terre". Aujourd'hui, on dit : "La Terre tourne autour du
Soleil". Selon toi, qu'est ce qui a provoqué ce changement
?
En classe de Terminale et pour les chercheurs, elle leur a
été formulée ainsi :
2. Est ce que les explications données par la science
dépendent des hommes et des sociétés dans lesquelles
elles ont été élaborées ? Pensez, par exemple,
à Galilée énonçant que la Terre tourne autour
du Soleil, et non l'inverse, comme cela était admis à
l'époque.
Les résultats obtenus sont les suivants :
En classes de Quatrième et Seconde
Question 2
4ème (13)
2nde (30)
Observation empirique
3 13 %
10 33 %
Progrès technique
2 15 %
10 33 %
Développement normal science
5 38 %
12 40 %
Évolution des mentalités
1 8 %
4 13 %
Inexploitable
4 31 %
- -
En classes de Terminale et chez les chercheurs :
Question 2
TL (13)
TS (15)
Chercheurs (12)
Oui
mais science / croyance
Préjugés, croyances
11 77 %
2 15 %
4 31 %
11 73 %
9 60 %
6 50 %
10 100 %
- -
9 75 %
Non
3 23 %
4 27 %
- -
Science -> vérité
2 15 %
2 13 %
- -
Chez les élèves les plus jeunes, l'influence de la vision du
monde d'une société n'apparaît pas comme primordiale.
Les changements de théories ne lui sont pas spontanément
attribués (alors que l'exemple choisi se voulait
révélateur de cette influence). Il semblerait que ce soit
plutôt sous l'effet de processus internes à la science que
les théories évoluent (développement technique
permettant de nouvelles observations, observation empirique,
développement "normal" de la science) :
"C'est l'astrologue (dont je ne sais plus son nom) qui
vivait au Moyen-âge, a créé un télescope (...).
L'astrologue a découvert que la Terre tourne autour du
Soleil "(4-12),
"Les physiciens ont découvert des
phénomènes différents grâce à de
nouvelles expériences" (2-16).
Beaucoup de réponses invoquent un mystérieux
"progrès de la science" (2-5). Elles semblent impliquer
que la science évolue de façon inéluctable vers la
vérité :
"Ce changement a été provoqué par
l'évolution scientifique" (2-5),
"Ce qui a provoqué ce changement est la recherche
car plus les sciences avancent, plus l'Homme acquiert des connaissances
nouvelles et rompt les mystères grâce à la
science" (2-12).
Quelques élèves évoquent une transformation des
critères scientifiques, sans les relier explicitement à une
évolution des mentalités :
"Ils [les scientifiques] trouvaient plus logique que la
Terre tourne autour du Soleil " (4-9),
"Ce qui a provoqué ce changement (...), c'est
(...) [le] passage à l'abstraction" (2-7),
alors que d'autres s'y réfèrent :
"Selon moi, ce changement est dû (...) à
l'amoindrisse du rationalisme, car avant tout le monde pensait que la
Terre était le centre de l'univers et il était donc logique
que la Lune et le Soleil tournent autour de la Terre. Et puis après
on a réalisé que c'était le contraire : la Terre
tourne autour du Soleil " (2-23).
Bien que l'objet d'étude soit le même, la formulation de la
question a été modifiée pour les élèves
de Terminale et les chercheurs.
Les réponses obtenues sont très différentes des
précédentes. Cela me semble résulter du fait que la
"vraie question" est ici posée explicitement.
Quoi qu'il en soit, il apparaît que l'ensemble des sujets
interrogés considère que les explications données par
la science dépendent des hommes et des sociétés dans
lesquelles elles ont été élaborées. En effet
:
- La science est partie intégrante de la culture :
"La science est plus un ensemble de matières et
de connaissances : elle est aussi un terrain d'expression de la
façon dont on conçoit les choses, d'une certaine
philosophie. Elle est par conséquent limitée par les
croyances religieuses ou les convictions morales d'une époque ou
d'une société"( S-3),
"Les hommes raisonnent en général dans le
cadre des théories admises à leur époque comme des
vérités" (C-3),
"Les explications dépendent beaucoup du milieu et
du siècle (...). Les critères esthétiques [à
la base du système héliocentrique] (le mouvement de base est
le mouvement circulaire, le seul qui soit naturel, et par
conséquent le ciel, s'il tourne, ne ressent pas de force centrifuge
car il obéit à ce mouvement naturel en lien avec sa forme)
ont eu droit de cité au temps de Ptolémée mais
feraient sourire aujourd'hui" (C-10).
- On ne répond qu'aux questions que l'on se pose : "La science tente de répondre aux questions précises
et alors actuelles d'une époque donnée" (S-2) et
"on interprète en fonction des connaissances que
l'on a" (C-5).
Un grand nombre d'élèves (9 sur 15 en Terminale
Scientifique) distingue la "vraie science" de la croyance :
"Dans le passé, on donnait des explications plus
ou moins scientifiques. Lorsqu'on explique selon les croyances, les
explications dépendent des hommes et des sociétés
mais lorsqu'on donne une explication scientifique, elle est la même
pour tous et ne dépend pas des hommes" (S-5),
"Dans le cas de Galilée, on
<<dirait>> que la science diffère d'un homme à
l'autre, mais ce n'est pas vrai, puisqu'un des résultats provient
de croyances et de suppositions (le Soleil tourne autour de la Terre)
tandis que l'autre résultat provient d'une démonstration
logique et rationnelle (la Terre tourne autour du Soleil)"
(S-6), donc "les explications données par la
science sont censées être exactes. L'idée de
Galilée a donc une explication scientifique, l'autre idée
n'a pas d'explication scientifique, elle ne relève pas de la
science" (S-8).
L'aspect culturel de la pratique scientifique est ainsi en grande partie
évacué : "La science représente des
<<choses>> rationnelles, qui existent, qui peuvent être
démontrées et qui n'ont pas à être
discutées" (S-6).
On retrouve l'idée de progrès de la science vers la
vérité (deux élèves en Terminale
Littéraire et deux en Terminale Scientifique) :
"Au départ oui, [les explications données
par la science dépendaient des hommes et des sociétés
dans lesquelles elles avaient été élaborées],
mais à notre époque, nous recherchons ce qui est
vraiment" (L-4)181 ,
"Cependant de nos jours, la science ne rencontre plus
d'obstacles et semble régner sur l'humanité"
(S-11).
Deux élèves de Terminale Scientifique et un chercheur
soulignent que le scientifique doit s'abstraire des croyances de la
société dans laquelle il vit :
"Le propre du scientifique est de se libérer de
ses idées préconçues et c'est comme ça
seulement que <<la science avance>>" (S12),
"L'avantage même des grands penseurs est d'avoir
une imagination suffisamment fertile pour échapper aux
systèmes connus, aux schémas de pensée usuels, au
conservatisme" (C-6).
Deux personnes considèrent que l'influence de la science sur la
société est plus marquée que l'inverse : "Ce sont les hommes et les sociétés qui
dépendent des explications données par la science, car
à chaque nouvelle découverte, il y a un changement
d'attitude et de vision de la vie. C'est l'avancée de la science
qui permet aux sociétés de changer. A partir du moment
où l'on a su que la Terre est ronde, l'homme n'a plus eu peur de
tomber dans le gouffre du diable au bord du monde" (S-1).
Bien que la majorité des personnes interrogées
considère que les explications données aux
phénomènes dépendent des sociétés dans
lesquelles elles ont été élaborées, la
science n'en semble pas moins dotée d'un caractère de
vérité.
Une distinction est faite entre les explications scientifiques et les
croyances. Une explication marquée culturellement relève des
secondes. Seules méritent le label "scientifique" les
explications qui échappent aux influences culturelles. Les
connaissances scientifiques seraient "vraies", les autres
seraient à attribuer à la faillibilité de l'esprit
humain. On retrouve ici l'idée d'une science dont les objets sont
en correspondance biunivoque avec ceux du monde matériel.