4. Les travaux existants.
Peu d'études ont été menées sur la représentation que les élèves se font de la nature du savoir scientifique et des conditions de sa production. Le travail le plus complet que j'ai pu consulter est celui de J. Désautels et M. Larochelle (J. Désautels & M. Larochelle, 1989) , effectué auprès d'étudiants canadiens.
Ces travaux portent sur la vision de la science d'étudiants pour un niveau donné unique. L'étude présente apporte une contribution novatrice puisqu'elle se propose de procèder à une étude comparée de l'idée de science d'élèves du secondaire, en fonction de l'avancement de leurs études et des filières choisies, et de jeunes chercheurs en physique.
4.1. Dessine moi un savant.
En 1983, la commission culture du CAES (association des personnels du CNRS) pose à des enfants de 11 à 15 ans la question suivante : "Pour vous, qu'est-ce qu'un savant ?".
Le rapport publié (CAES, 198361), dresse un portrait-robot de l'homme de sciences, derrière lequel se profile l'activité scientifique.
Le savant est "une drôle de personne" (p. 9), qui "passe le plus clair de son temps dans son laboratoire" (p. 18), "s'ennuyant toutes ses nuits à ne pouvoir faire des recherches" (p. 20). Toujours "plongé dans ses calculs" (p. 20), il "a son monde à lui" (p. 20); c'est "un homme très intelligent" (p. 14), qui "a fait de longues études" (p. 14), ou même, "un savant sait tout" (p. 15).
Les disciplines scientifiques les plus souvent citées sont les mathématiques, la chimie et la physique.
Le travail du savant est essentiellement tourné vers les applications, dont le type distingue les bons et les mauvais savants; les premiers "cherchent des choses utiles pour les hommes" (p. 11), les seconds veulent "essayer de commander la Terre" (p. 10). Son activité est à la fois intellectuelle : "Je l'imagine toujours dans un laboratoire cherchant des formules" (p. 12), "Un savant est une personne qui fait des calculs" (p. 12), "Il raconte des choses avec des maths qu'il a inventées, très compliquées et étranges" (p. 14), et manipulatoire (ses expériences ont de plus un coté magique72) : "Ce savant travaillerait toujours avec des potions chimiques" (p. 13), "Il fait beaucoup de chimie" (p. 14), "Tous ses produits font d'énormes bulles, des rremous" (p. 20).
L'image qui se d\'8egage de l'ensemble est plutôt négative. Le savant est un être exceptionnel, trop exceptionnel pour que les enfants le considèrent vraiment comme des nôtres et s'identifient à lui, d'autant plus que sa vie est "très triste" (p. 20) et qu'il est souvent "fou" (p. 22). L'activité scientifique est difficile, dangereuse et laisse peu de place à l'imaginaire (un savant est un homme "qui ne rêve pas, qui est très réaliste" (p. 23)). De plus, il semblerait que la science procède de la découverte.
Les auteurs du rapport constatent avec surprise que "les caractéristiques données par les enfants sont [très] éloignées de la réalité" (p.7), que les enfants éprouvent une "crainte devant la science" (p. 12). En conséquence, les auteurs appellent à réagir.
4.2. Points de vue d'adolescents et d'adolescentes.
J. Désautels et M. Larochelle se sont intéressés aux représentations de la science de jeunes Canadiens en fin d'enseignement secondaire.
D'après leur étude (J. Désautels & M. Larochelle, 198981), les adolescents s'inscrivent majoritairement dans une perspective réaliste et empiriste. Les tendances générales relevées sont les suivantes :
- L'objectif de la science est donner "une explication profonde" (p. 80) aux phénomènes "naturels", au moyen des outils propres aux sciences que sont les chiffres, les formules, les lois, et l'expérimentation.
- La "tendance à l'ontologisme" (p. 147) est très marquée, il y aurait une correspondance biunivoque entre la connaissance expérimentale, les objets de la théorie et le monde intrinsèque. L'univers serait "préorganisé et se [révélerait] d'emblée au sujet sous forme de lois, de concepts et de théories" (p. 148).
- La science "est adaptée à l'étude d'objets particuliers (physique, chimie, mathématiques), elle est inopportune pour l'étude des phénomènes humains" (p. 150).
- Il y a une ambiguïté concernant la production du savoir scientifique et vis à vis du rôle du chercheur. Coexistent deux conceptions, en apparence contradictoires. Le savoir scientifique serait d'un coté le fait d'esprits créateurs, illuminés, particulièrement clairvoyants, d'un autre coté, il ne serait guère plus que "l'évidence du phénomène divulgués" grâce à l'expérience, et le scientifique ne serait alors que "le compilateur d'un réalité organisée et ontologique" (p. 145). E. Morin évoque lui aussi cette "schizophrénie" : "l'aspect créatif individuel est à la fois connu et totalement refoulé" (E. Morin, 1984, p. 81).
- La "science n'est pas détachée de la sensation" (p. 146). "D'emblée, les données d'observation deviennent une question ou un problème scientifiques pertinents auxquels on peut trouver des réponses directes" (p. 147), par "accumulation et juxtaposition d'observations".
- Le travail de l'esprit, de construction, d'interprétation n'est pas pris en compte, bien que certains étudiants interrogés aient l'intuition que "pour observer, il faut avoir des idées" (p. 101), "et que "tu ne peux pas enregistrer ce que tu ne penses pas" (p. 148).
- L'objectivité est garantie par les faits. L'expérience fournit une preuve. Cependant, beaucoup d'étudiants, conscients du caractère évolutif de la science, évoquent "les contingences socio-historiques ou socio-psychologiques". Mais il s'agit alors d'un savoir erroné, non réellement objectif.
- La science progresse continûment. Les questions, les objets d'études restent les mêmes, "les concepts [ont] le même sens d'une théorie à l'autre" (p. 148), "seules les interprétations changent, se raffinent, se rapprochent de la réalité eu égard au perfectionnement des techniques" (p. 148).
Ainsi, "la connaissance scientifique se voit attribuer une valeur cognitive plus fondée; c'est un savoir fiable, fondamentalement prouvé ou pouvant l'être" (p. 85), ayant trait à des objets qui existent concrètement, auxquels on peut avoir un accès direct grâce aux sens. Savoir dans l'établissement duquel le sujet "est rarement un sujet producteur ... sinon d'erreurs" (p. 149).