7. Quelle est cette chose qu'ils appellent la "science" ?
7.1. D'une représentation épistémologique ...
Que nous apprennent les discours analysés quant aux
représentations épistémologiques des sujets
confrontés à la science, par "obligation" ou par
choix professionnel, que sont les élèves du secondaire et
les jeunes chercheurs ?
Je voudrais avant tout signaler la qualité des propos recueillis :
non seulement les sujets interrogés "ont des
idées", mais ces idées se révèlent
parfois extrêmement pertinentes au regard de
l'épistémologie moderne. Malgré les maladresses de
formulation, apparaissent des "intuitions" tout à fait
intéressantes, y compris chez de jeunes élèves.
La variété des discours reconstitue la gamme des courants
épistémologiques qui marquent l'histoire des sciences et la
réflexion sur celles-ci.
La tendance la plus marquée chez les élèves fait
référence au réalisme et à l'empirisme : la
science est envisagée comme reflet spéculaire du monde.
Celui-ci est régi par des "lois naturelles" en
correspondance biunivoque avec les "lois scientifiques". C'est
à l'observation et l'expérimentation (qui n'est qu'une
observation volontaire) qu'il revient de poser les questions, et surtout
de fournir les réponses et les preuves. L'acte scientifique est
acte de découverte.
Parallèlement à cette orientation principale, on
repère des éléments de réponse qui
relèvent, vis à vis de certains aspects de l'activité
scientifique, des points de vues instrumentaliste et constructiviste, plus
comtemporains : la science et ses lois sont les outils symboliques que
conçoit l'esprit humain pour appréhender le monde. L'acte
scientifique est acte d'imagination.
L'analyse comparée des réponses aux différentes
questions fait ressortir une certaine diversité dans les propos
tenus par un même sujet. Cette diversité qui peut être
considérée comme un manque de cohérence, constitue
à mes yeux une ouverture possible pour amorcer une véritable
réflexion sur la nature du savoir scientifique avec les
élèves.
Il est de ce fait difficile de classer les individus dans des
catégories strictement définies. Disons simplement que c'est
principalement chez les élèves de Terminale Scientifique que
l'on trouve des éléments de discours s'inscrivant dans la
perspective instrumentaliste moderne. Notons cependant que ces mêmes
discours contiennent le plus souvent aussi des propos réalistes et
empiristes.
Les discours des chercheurs, plus fournis et plus cohérents, sont
porteurs de conceptions épistémologiques plus nettes,
majoritairement instrumentalistes.
Là peut se poser la question de savoir si l'on acquiert une
représentation moderne de la science parce que l'on participe
à son édification ou bien si, à l'inverse, on devient
chercheur parce que l'on dispose d'une telle image de la science.
7.2. ... à une autre.
Comme je l'ai remarqué précédemment, beaucoup
de sujets ont des "intuitions épistémologiques"
qui pourraient être favorablement exploitées en vue d'une
modification de leurs représentations de la science.
Intégrer une réflexion épistémologique
à l'enseignement scientifique me semble nécessaire si l'on
veut véritablement enseigner les sciences, et non des
formulaires.
Cela semble intéresser les didacticiens des sciences. Un certain
nombre de travaux ont été publiés sur le sujet. Mon
but n'étant pas de présenter de tels travaux, je me
contenterai d'en citer quelques-uns, qui m'ont paru
particulièrement intéressants.
I. Stenghers et J. Schlanger (Stenghers I. & Schlanger J., 1988), mais
aussi certains enseignants (Wolff B., 1991), suggèrent de faire
appel à l'histoire des sciences.
D'autres proposent de mettre les étudiants en situation de
recherche, que ce soit en travaux pratiques (Guillaud J.C. & Robardet
G., 1993) ou lors de la résolution d'exercices (Gil-Perez D.,
1993). J. Désautels et M. Larochelle vont plus loin; ils ont
élaboré un logiciel, l'Énigmatique, pour une
"stratégie de dérangement
épistémologique". Il s'agit de simuler la
production de savoirs scientifiques en imaginant "des
solutions aux problèmes suscités par diverses situations
énigmatiques" (Désautels J. & Larochelle M.,
1993, p. 19) proposées par le logiciel. Celui-ci modélise un
micromonde sur lequel il est possible de procéder à des
expériences mais qui gardera implacablement, tel le réel,
son statut de boîte noire(Larochelle M. & Désautels J.,
1992).
Je ne prétend pas, par un travail aussi modeste,
révéler des attitudes insoupçonnées qui
bouleverseraient la vision qu'ont les enseignants de leurs
élèves, ni démontrer l'importance qu'il y a à
considérer les représentations
épistémologiques des élèves dans
l'enseignement. Simplement, un tel travail me permet de mieux
appréhender les conceptions des élèves vis à
vis de la science, de façon à pouvoir en tenir compte dans
mon propre enseignement.
Enseignement dans lequel je souhaiterais que les sciences apparaissent
comme construites par l'esprit humain; finalement, animées
"par des mythes, par des idées, par des rêves"
(Morin E., 1984, p.85).
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